Mariage royal au pays du Bonheur national brut

Le roi du Bhoutan a promis à sa nouvelle épouse qu'elle serait la seule, rompant avec la tradition de polygamie. (Son père avait quatre femmes !) Reuters. Adrees Latif

Le jeune souverain du Bhoutan vient d’épouser une belle roturière de 21 ans, ce qui a donné lieu à trois jours de festivités. L’événement est historique dans ce petit royaume perdu dans l’Himalaya. L’un des pays les plus mystérieux et fermés au monde.

Mais qui s’ouvre progressivement: interdite jusqu’alors, la télé y a été autorisée en 1999 !

À Thimphu, la capitale du Bhoutan, l’atmosphère est joyeuse. Partout, les habitants ont accroché des drapeaux orangés ornés d’un dragon, symbole de la monarchie. Dans les magasins, au-dessus des porches, des portraits géants du roi du Bhoutan et de sa nouvelle épouse, Jetsun Pema, 21 ans, qui ressemble aux princesses des contes de fées.

Les Bhoutanais sont venus par dizaines de milliers pour tenter d’apercevoir le couple royal le long de la route entre Punakha, la ville sacrée où ont eu lieu le mariage et le couronnement de la reine jeudi, et Thimphu, la capitale. Ici le riz n’est pas jeté sur les mariés mais disposé au sol en dessins colorés. À leur passage, les motifs se détruisent progressivement : ils symbolisent l’impermanence de toute chose, selon la tradition bouddhiste.

Les souverains ont parcouru une bonne partie du chemin à pied, s’arrêtant au passage pour serrer des mains et pincer les joues des nouveau-nés. Pendant le trajet, la reine s’est tenue en retrait, en parfaite épouse traditionnelle bhoutanaise, tenant la main de son époux et baissant la tête, dans une attitude de modestie qui la rend déjà très populaire auprès de ses sujets. « Je la trouve vraiment très décente, estime Namkha, une mère de famille. Elle n’en fait pas trop. » Chumku, jeune secrétaire au Bureau des statistiques du royaume, se souvient : « Quand le roi a annoncé qu’il se mariait, j’ai eu le coeur brisé, mais maintenant que j’ai vu la reine, je suis heureuse, elle est vraiment magnifique. »

La souveraine a 21 ans, dix de moins que son époux, le plus jeune roi du monde. lls se sont rencontrés lors d’un pique-nique alors que Jetsun n’avait que 7 ans, puis se sont revus régulièrement. Elle a reçu une éducation catholique en Inde et étudié l’histoire de l’art à Londres pendant deux ans. « C’est un être humain merveilleux, répète le roi à ses sujets. Elle vous servira de son mieux. »

Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, le Roi dragon, cinquième de sa dynastie, est arrivé au pouvoir en 2008. Son père avait abdiqué en sa faveur, anonçant par la même occasion la transition du Bhoutan vers la démocratie. Il avait déjà entamé le processus de modernisation radicale du pays. Il y avait par exemple introduit la télévision, interdite jusqu’en 1999.

La tenue traditionnelle avec des Nike

En 2008, ont eu lieu les premières élections de l’histoire du pays. « Quand le Roi a annoncé qu’il y aurait un gouvernement élu, beaucoup de Bhoutanais sont allés le voir pour lui dire qu’ils n’en voulaient pas, qu’ils voulaient garder la monarchie absolue », se souvient Uygen, un fonctionnaire au ministère de l’Environnement.

Ici, le succès de l’économie ne se mesure pas en Produit National Brut mais en Bonheur National Brut. Au-delà de la richesse produite, le gouvernement doit prendre en compte le bonheur des habitants. La mesure de ce bonheur dépend d’une série de 72 indicateurs, qui comprennent entre autres le temps passé avec sa famille, le sentiment d’appartenance à une communauté ou encore l’équilibre psychologique.

Un concept imaginé par le précédent souverain, fondé sur des préceptes bouddhistes, mais qui vise aussi à plus d’efficacité économique : « Si on favorise certains facteurs, comme le respect de l’environnement ou le bien-être au travail, explique Karma Tshering, secrétaire général de la Commission du Bonheur National Brut, l’État a moins à payer par la suite en termes de santé, de consommation d’anti-dépresseurs ou d’environnement. »

L’idée fait son chemin chez les économistes du monde entier. Plusieurs universités prestigieuses, dont Oxford, ont fondé des instituts du Bonheur National. « Certains nous reprochent de ne pas mettre le profit au premier plan. Au contraire, un salarié heureux est bien plus productif. »

Mais le plus important défi du Bhoutan aujourd’hui, c’est de résister à l’occidentalisation rampante et de faire face aux premiers troubles sociaux de son histoire. À l’heure d’Internet, le pays connaît une véritable révolution. Dès la tombée de la nuit, les ados de Thimphu occupent les rues. Ils ressemblent aux ados du monde entier : jeans serrés et coupes de cheveux stylisées façon manga. Ceux qui gardent la tenue traditionnelle l’accessoirisent avec des Nike multicolores. Ils sont fans de films américains et japonais.

Et la consommation de marijuana explose. « Depuis l’arrivée des films d’action violents, les jeunes Bhoutanais ont voulu faire pareil, former des gangs, fumer, être cool », explique Loexel, un étudiant en administration. Samedi, après le feu d’artifice qui clôturait les festivités, la jeunesse de Thimphu se déhanchait en plein air, au son de Lady Gaga.

[via]  Carol Isoux, ouest-france.fr